En finir avec la figure du héros : le "monomythe", l'astuce de scénariste qui a formaté Hollywood (2024)

Cinéma

Par Yann Lagarde

Publié le

"Star Wars", "Harry Potter" ou "Matrix" ont été influencés par les travaux d'un homme, Joseph Campbell. Ce professeur en mythologies comparées a publié un ouvrage qui a influencé les scénaristes d'Hollywood, avec son concept de voyage initiatique du héros.

Vous avez forcément entendu cette histoire quelque part: un jeune homme tout à fait ordinaire, qui met le pied dans un univers magique. Il doit accomplir une quête et va en ressortir transformé.

Qu’il s’appelle Luke, Harryou Neo, en fait, c'est toujours un peu la même histoire et c’est normal. Voici le “monomythe”, un concept qui a été théorisé dans les années 1940 par un Américain, Joseph Campbell.

En résumé, derrière tous les grands mythes et les grands récits, il y aurait en fait une même structure narrative, fondée sur le voyage initiatique d'un héros. George Lucas s’en est inspiré pour créer Star Wars et Hollywood a tellement aimé l’idée que les studios ont tenté de l’appliquer un peu partout.

Lucas résume en 2005 son processus de création: "j'ai essayé de reprendre des histoires qui avaient déjà été écrites et de les poursuivre. Je suis le dernier maillon d’un processus d’écriture qui a commencé il y a 3 000 ans."

À lire aussi : Joseph Campbell et son "monomythe", aux origines de la saga Star Wars

Un seul et unique mythe universel

Joseph Campbell naît en 1904, c’est un passionné de culture amérindienne qui enseigne la mythologie comparée dans une université américaine.

C’est là qu’il élabore une théorie: et si tous les mythes antiques et médiévaux du monde entier avait en réalité un dénominateur commun? Une matrice unique en quelque sorte.

C’est l’idée d’un monomythe, qu’il développe dans un essai en 1949, Le Héros aux mille et un visages. Le monomythe se construit autour de la figure du héros et de sa quête, mais avec une originalité: ce n’est pas le héros qui transforme le monde, c’est le monde qui transforme le héros.

Les travaux de Campbell restent relativement méconnus jusqu'à ce qu’un jeune réalisateur du nom de George Lucasles découvre dans les années 1970. Il explique que sans cette découverte, il aurait mis dix ans de plus à écrire le scénario de Star Wars.

Lucas a parfaitement intégré les étapes du monomythe à Star Wars: un jeune fermier est appelé dans une quête, il est aidé d’un vieux sage.

Il affronte ensuite sa plus grande peur, qui peut prendre la forme d’une catabase, motif très commun dans la mythologie grecque, où le héros descend dans les Enfers.

Dans Star Wars, c’est ce passage où Luke descend dans une grotte obscure pour affronter le spectre de Dark Vador. Le héros ressort transfiguré de cette épreuve.

Richard Mèmeteau, professeur de philosophie et auteur dePop culture: Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités(La Découverte, 2014) explique que "le héros abandonne en quelque sorte son ego et en abandonnant son ego, il fait vivre en lui une force supérieure, il change de nature. Il revient ensuite au monde ordinaire, il partage l’élixir: ce qu’il a gagné, il va le donner à ceux qui l’ont accompagné. C’est une façon de revenir, mais pas tout à fait au point de départ en réalité puisqu’on a recréé une communauté à travers la quête".

À écouter : Qu'avons-nous fait de nos héros ?

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30 min

Réenchanter le monde

Star Warssort dans une décennie tourmentée où les États-Unis sont en proie à un doute existentiel: à cause du choc pétrolier, de la guerre du Vietnam et de la défiance politique après le scandale du Watergate. Et George Lucas sait très bien ce qu’il fait en transposant le monomythe de Campbell dans sa saga interstellaire.

Richard Mèmeteau affirme que "Lucas lui-même revendique de donner aux kids qui sont perdus une mythologie moderne. Et Campbell, ce n’est pas un énorme démocrate, il pense lui-même que le monde moderne détruit, désenchante. Il est aussi assez content de retrouver en Lucas quelqu’un qui ferait vivre les idéaux du héros, mais de façon moderne et technologique, parce qu’il s’agit quand même de vaisseaux spatiaux et d'épées laser."

Après George Lucas, le monomythe connaît un certain succès dans le Hollywood des années 1980. Et Campbell devient un peu gourou malgré lui. Des concepts comme le “héros intérieur qui sommeille en nous” trouvent un certain écho dans une Californie avide de développement personnel et de “new age”.

Mais c’est aussi grâce à Christopher Vogler, un consultant de Disneyqui le transpose en un guide pratique pour les scénaristes, croyant détenir la formule magique pour triompher au box office.

On retrouve l’influence du monomythe dans de nombreuses productions jusqu’aux années 2000, même chez Alexandre Astier lorsqu’il écrit la série Kaamelot.

À écouter : Alexandre Astier, l'art de l'anachronisme

La Grande Table d'été

43 min

Un récit pas vraiment émancipateur

Joseph Campbell meurt en 1987, mais son monomythe reçoit déjà de nombreuses critiques. Joseph Campbell est certes un érudit féru de littérature, mais ce n’est ni un scientifique ni un anthropologue et son concept est un peu fourre-tout.

Une autre critique vient de la science-fiction elle-même, notamment avec des fans de Star Trek. On reproche à Star Warset au monomythe de toujours mettre en avant des héros issus de grandes lignées qui décident seuls du sort du monde. Pas vraiment un récit qui visel’émancipation des peuples, donc.

Mais on peut aussi voir le monomythe simplement comme un prétexte pour donner à la culture populaire une dimension analytique et nous permettre de réfléchir aux récits qu’on nous propose.

"En réalité, notre culture populaire, elle naît de la critique du monomythe," analyse Richard Mèmeteau. "Toutes les séries, je pense par exemple à 'Buffy contre les vampires' qui finit en disant 'il faut partager le pouvoir, je ne veux pas être la seule tueuse, il doit y avoir toute une équipe de tueuses autour de moi pour tuer les vampires'. Tout ça, c’est aussi la lente prise de conscience qu’il doit y avoir une défense de la démocratie dans les récits eux-mêmes, une défense de l’intelligence collective, une défense d’autre chose que l’intuition géniale du héros."

À lire aussi : Philosopher avec les séries

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